Pourquoi l’uniforme ne sera pas l’avenir de l’accueil en entreprise ?
Le port de l’uniforme par le personnel d’accueil en entreprise est une question dont l’enjeu échappe souvent au premier abord, tant il est ancré dans les mœurs. En effet, vitrine de la marque, le personnel d’accueil est tenu d’avoir une présentation impeccable qui passe souvent (voire systématiquement) par un uniforme. Cette stratégie est adoptée par la plupart des acteurs du secteur, à commencer par les trois leaders : le groupe Armonia, Pénélope et City One (qui détiennent ensemble 70% du marché) répondent aux attentes de leurs clients en soumettant leur personnel au port de l’uniforme.
Le port de l’uniforme est pourtant en train d’être remis en question, car de nouveaux enjeux commencent à être perçus. Mais qu’en était-il au départ ? Pourquoi les hôte(sse)s d’accueil en entreprises portent aujourd’hui des uniformes ?
Pour comprendre la mise en place de cette pratique, il faut se remémorer l’essor même de la profession d’accueil en entreprise. Inutile de chercher très loin, car l’accueil physique en entreprise connait un développement assez tardif, que l’on situe dans les années 90. Le plus surprenant est qu’il ne découle pas de l’accueil téléphonique auquel il est quasiment toujours associé (et qui voit le jour dans les années 70) mais de l’accueil événementiel, alors exercé par les « hôtesses » du monde des salons.
En effet, les premières agences qui proposent une prestation d’accueil en entreprise sont les agences événementielles. La tradition accueil + uniforme glisse naturellement d’une profession à l’autre sans que l’on ne s’interroge sur les conséquences de cette pratique. Tout cela est en train de changer !
Pris(es) pour des idiot(e)s …
Si le métier de l’accueil en entreprise a d’abord été dupliqué sur celui de l’événementiel, il en est aujourd’hui très éloigné.
Dans les salons, le travail des hôtesses se limitait au rôle de représentation, car seule l’image dégagée importait. Les hôtesses n’avaient bien souvent aucune connaissance sur les produits, mais leur apparence était très soignée.
Pour les premières hôtesses d’accueil en entreprise, présence, sourire, bienséance et savoir-être étaient également des prérequis fondamentaux. Cependant, les tâches de l’accueil se sont rapidement diversifiées pour répondre aux besoins des clients et partout aujourd’hui l’accueil est devenu un poste stratégique, dépassant la seule fonction de vitrine. Par ailleurs, la profession s’est ouverte aux hommes.
Avec un personnel de plus en plus compétent, les tâches exécutées par l’accueil ont une grande valeur ajoutée. Réservation de salles de réunion, gestion d’agendas, travaux administratifs, usage de logiciels, profils bilingues voire trilingues, réactivité, sans froid, les hôte(sse)s deviennent de véritables assistant(e)s, ultra compétent(e)s.
Or les uniformes portés par les hôte(sse)s ne font apparaitre que leur mission de représentation, ce qui est réducteur et peut contribuer à donner l’image d’un personnel peu qualifié.
… voire victimes de clichés sexistes.
Malheureusement, d’autres dérives sont possibles. Si le port de l’uniforme peut contribuer à donner l’image d’un personnel peu qualifié, il peut également véhiculer des clichés sexistes et s’avérer pénible à assumer, pour les femmes notamment.
A l’instar de ceux portés par les hôtesses de salons, les uniformes des hôtesses d’accueil ne valorisent que très rarement l’image de la femme. Ce n’est pourtant pas le cas des uniformes de toutes les professions : bleu de travail ou blouse blanche des médecins ne nuisent pas à l’image de ceux qui les portent. Mais pour une hôtesse, l’uniforme signifie le plus souvent : tailleur, escarpins, collants, styles de maquillage et de coiffure imposés, or ces éléments, loin d’être fonctionnels, n’évoquent rien d’autre que l’identité sexuelle des femmes qui les portent.
Comme le souligne Delphine Minchella, Enseignant-chercheur en Management stratégique : « les femmes ne sont pas toutes à l’aise avec ces atours […]. Une jupe qui ne flatte pas certaines courbes, une veste mal taillée, un décolleté trop plongeant, un rouge à lèvres, dont la couleur est estimée vulgaire sont autant de sources d’inconfort pour qui doit les porter cinq jours sur sept, à plus forte raison quand le cœur de l’activité consiste à s’exposer à une multitude d’interlocuteurs. »
Voilà donc comment l’uniforme, mal adapté, peut devenir source de mal être, véhiculer des clichés sexistes et finalement s’avérer totalement contre-productif. A la fois parce qu’un(e) salarié(e) mal à l’aise travaille moins et bien et à la fois car l’image dégagée sera fortement altérée.
Des hôte(sse)s mis(es) à distance…
Autre point à soulever, la question de la mise à distance. En portant un uniforme, l’hôte(sse) d’accueil peut se sentir mis(e) à distance, de deux façons.
D’une part, son uniforme le relègue au rang des prestataires, à l’instar du personnel des sociétés d’entretien. S’il est vrai que la profession d’accueil est souvent exercée en prestation (on relève que 60% des entreprises françaises possèdent un accueil externalisé), il est préférable de ne pas le montrer. Laisser penser que le personnel d’accueil est extérieur à l’entreprise risque d’induire l’idée que l’hôte(sse) ne connait pas très bien l’entreprise et n’est pas à même d’informer correctement, or il (elle) se doit de connaître le fonctionnement de cette dernière mieux que quiconque.
D’autre part, en portant un uniforme, il y a fort à parier que l’hôte(sse) d’accueil se distingue du reste des collaborateurs de l’entreprise. La mise à distance la plus fréquente concerne les hôtesses, seules soumises à un uniforme alors que les autres femmes de la société sont libres de porter ce qu’elles veulent.
S’affranchir d’une telle distinction instaure l’esprit d’équipe et renforce le sentiment d’appartenance, garant du bon fonctionnement. L’intégration contribue à la confiance, au bon échange des informations et au bien-être de chacun.
…et perçu(e)s comme interchangeables.
Ce n’est pas tout. L’uniforme induit inconsciemment l’idée que les personnes sont interchangeables. Il efface ce qui rend unique, empêche d’exprimer sa personnalité et donc annule la valeur ajoutée de chacun.
C’est pourquoi l’abandon de l’uniforme s’inscrit dans le courant des pratiques de management actuelles qui ont pour objectif de laisser place à la personnalité de chacun au sein de l’entreprise, considérant que cela ne fait qu’enrichir la culture de l’entreprise et l’épanouissement des salariés, et à terme, productivité et fidélité à l’entreprise.
D’autre part, l’uniforme fait ressembler l’hôte(sse) d’accueil d’une entreprise à celui ou celle de toutes les autres entreprises. Les efforts de l’entreprise pour se démarquer de la concurrence, que ce soit en termes de prestation comme en termes d’image, sont alors anéantis.
L’accueil est un métier de l’humain, fait de chaleur et d’individus, les hôtes et hôtesses, premiers contacts de tous les interlocuteurs, doivent être à l’image de l’entreprise : uniques !
Demain, un accueil sans uniforme
Le métier de l’accueil en entreprise n’a eu de cesse d’évoluer et c’est aujourd’hui l’image de cette profession qui doit connaitre sa révolution pour accompagner ces changements. Le personnel est de plus en plus qualifié, compétent et impliqué, il devrait s’affranchir des inconvénients causés par le port d’un uniforme.
Mais dans ce cas, comment s’assurer que l’accueil reste facilement identifié ?
Le vêtement n’est pas le seul élément signifiant de l’accueil. La borne d’accueil permet généralement à elle seule d’identifier l’hôte(sse) qui se trouve derrière. En plus de cela, l’hôte(sse), peut être identifié(e) par un badge, par exemple. L’attitude de l’hôte(sse) est également déterminante : disponible et proactif(ve), c’est lui (elle) qui vient à la rencontre du visiteur pour le prendre en charge.
Faut-il craindre que l’image de l’entreprise souffre de la perte de l’uniforme ?
Au contraire, il y a tout à y gagner ! C’est la promesse d’un personnel pris en considération, plus à l’aise, unique, intégré… en somme, plus performant. Et surtout, abandonner l’uniforme ne signifie pas renoncer à une tenue élégante ! Les entreprises peuvent opter pour un « dress code » qui reste en cohérence avec leur ADN.
N’oubliez pas que pour innover, il faut oser sortir du cahier des charges.
Sources :
Livre blanc ACCUEIL 2020, édition 2016
https://www.capital.fr/economie-politique/les-dessous-pas-tres-glamour-du-monde-des-hotesses-571246
http://www.hrtoday.ch/fr/article/pour-ou-contre-un-dress-code-pour-les-employes
http://www.les-histoires-de-lea.fr/la-valeur-de-luniforme-professionnel/
https://theconversation.com/le-poids-de-luniforme-le-calvaire-des-hotesses-daccueil-73237
https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9tiers_de_l%27accueil